Les larmes roulent sur mes pommettes et je me dis que j’ai de la chance d’avoir tant d’amour pour tant de personnes qui vivent si loin de moi que j’en ai mal. J’essaie de me convaincre que cette tristesse est belle
plutôt que d’en vouloir à la matérialité, à la téléportation toujours pas inventée. Je n’arrive pas encore à accepter à quel point je suis limitée. Une partie de moi hurle à l’injustice, voire à l’affront que le monde ne soit pas ce que j’aimerais qu’il soit : un seul corps, un seul temps – l’extase du Tout.
Un seul corps, un seul temps : c’est tout ce que j’ai et à l’approche de mes trente ans, cela semble si peu. Mon vieillissement et ma mortalité commencent à agiter mes pensées. Je suis surprise et agacée d’être aussi touchée par ce cap symbolique. J’aimerais être au-delà de ça. Mais je pense à la peau de mon cou, je pense à toutes mes envies qui ne tiennent pas en une vie, et je me demande ce que ça changera à mon rapport au monde quand je cesserai d’être perçue comme séduisante. Alors ces temps-ci j’explore nombre d’autres corps, comme pour retenir le temps qui file dans les filets du désir.