enfant-louve

je sens l’enfant-louve juste sous la surface
son envie de hurler qui résonne silencieusement dans ma cage thoracique
ses dents qui voudraient déchirer
déchirer
déchirer
te déchirer toi, si tu t’approches
comme elle a déchiré
la réalité
pour se faire une cachette
je suis l’enfant-louve
ma grotte est inviolable
elle n’est
pas là, pas ici,
nulle part et pourtant,
j’y vis
je suis l’enfant seule
seule et sans repos
tremblante et enragée
depuis des temps
effacés de la mémoire
je suis l’enfant-louve
et pour la première fois
je parle
si tu me touches je te tue
je te casse la nuque
je t’arrache la tête
et dévore tes entrailles

si tu me touches
– je te tue

La pièce manquante

C’est un dessin dont le centre est un trou noir.
Pas un corps céleste mystérieux,
un trou noir littéral
un vide saturé
de quelque chose qui ne fait pas sens
une absence devenue récemment
intensément présente.
Tout apparaît en creux
comme des lignes dans le papier lorsqu’on passe le crayon dessus.
Un oxymore enfoncé dans la chair
est plus dur à encaisser
que dans le texte
et confine presque à l’asphyxie
qui fait tourner la tête.
Un oxymore dans la chair ça s’oublie
parce qu’un peu de flou artistique,
quand on ne sait pas dessiner,
c’est plus joli.
Un oxymore dans la chair ça se traduit
parce qu’il y a d’autre façon de faire du symbolique
que la poésie
psychosomatique.
Oxymore, c’est un joli mot.
Je l’aimerai beaucoup, plus tard.

The one that wouldn’t die

J’étais au mauvais endroit au mauvais moment
– quelle malchance.
Tu as essayé de te débarrasser de moi
– une témouine gênante
Tu aurais préféré ne pas
– c’était malheureux

Pourtant, il le fallait
– pourquoi le fallait-il ?
Qui s’en souvient ?
– pas toi.
Il fallait oublier.
– oublier pourquoi c’était important que je ne sois plus là

Tu as cru que c’était fini
– une bonne fois pour toute
Mais j’ai ouvert les yeux
– et tu m’as vue.

Malgré tous tes efforts, je suis encore vivante.

Haïkus de printemps

Se rappeler la lumière
Retrouver son mouvement
C’est ça la foi

Éclore –
commencer à exister
sans se douter de rien

Caché dans l’ombre de mon courage
J’ai découvert un trésor
Bonjour, douceur

Ouverture timide
si je veux un Maître
c’est celui des fleurs

J’ai perdu la tristesse
de ce que j’avais perdu
Le vide est fécond

1,2,3 je suis une grenouille
4,5,6
– plouf !

Feuilles jeunes et tendres
Vous connaîtrez bientôt
Le dur soleil

Les yeux lourds
je ne dors pas
mais je rêve de la sieste

J’ai bu de ton eau
sans te remercier.
Pardon.

L’amour porte un visage
qu’enfin j’ai appris
À reconnaître

Il est si simple de vivre
Quand on oublie
D’y penser

Rose

J’ai voulu vous plaire
Jusqu’à en défaire
désir et instinct

Jusqu’à me cacher
Oubli du chemin
d’intériorité

Jusqu’à afficher
pour me conformer
Un masque docile

À perdre mon nom
N’être plus qu’un rôle,
Un battement de cils

Jusqu’à égarer
Sans réaliser
Mes aspirations

À me persuader
Que j’étais sauvée
De l’aliénation.

L’Apocalypse m’a rendue
Ce que je suis et ne suis plus.
Sans regret, c’est un adieu
produit de luxe défectueux.

Je suis la rose à peine éclose
Je suis la jeune fille en feu
Feu de l’amour et de la prose
Feu de celle qui croit en son vœu

Je suis celle qui ne se résigne
pas avant d’avoir tout tenté,
Celle qui mourra pour son rêve
plutôt que de l’assassiner

– et si la Beauté a un hymne
j’apprendrai à le chanter !

je ne veux plus d’amitiés construites autour d’un café
la vie ça se raconte en faisant autre chose
j’aime partager mais je ne dois plus mes histoires
à personne

l’envie de me raconter m’est passée comme passe une saison
je me souviens comme le simple fait de parler de soi créait de l’intime
aujourd’hui il ne suffit plus que je dise et que quelqu’un écoute
et je ne veux plus qu’on me raconte
par défaut

Je suis rassasiée.
Je suis fatiguée.

aujourd’hui j’ai besoin que le silence
les regards
et la peau
suffisent

j’ai les pieds mouillés
comme j’ai appris à accepter que des pieds le soient
en remontant avec vous le cours de la rivière

je marche seule vers le sommet
dans le soleil levant
le cœur écartelé
de vos absences

vous
trop nombrables vous
avec qui partager
la rage et le sacré

j’avance
la brume en contrebas
un recueil de poésie dans la poche

je hurle
et il y a l’espace, un instant,
pour faire exister l’injustice

à contretemps j’écris
mes yeux ont tout vu
même les infimes toiles de rosée à la racine des herbes des champs
mes yeux ont tout vu
il y a tant de fleurs des champs
mais pas un seul maudit chardon

Il me plaît que vous soyez fou de moi

Moi j’avais renoncé il y a longtemps déjà,
reprenant mot à mot ceux de Tsvétaïéva :
Non, tu n’étais pas fou, et sûrement pas de moi.
Je croyais faire ce qu’il fallait pour qu’un beau jour,
feu retrouvé, à une autre tu fasses la cour
avec l’ardeur qu’il manquait à nos premiers jours.
En sainte de cette histoire écrite dans ma tête,
je libérais ton feu pour la beauté du geste,
un geste d’amour pur, sans demander mon reste.
D’une résignation aussi douce que muette
j’étais, dans mon attente, entièrement revêtue,
si sûre qu’un tel amour n’advenait qu’au début !
Pas une seule histoire ne m’avait prévenue
qu’il pourrait apparaître au milieu du chemin
(quoiqu’à l’échelle d’une vie, c’est plus début que fin)
et – faire dérailler le script.

J’ai pas encore tout à fait fini d’être incrédule
et un peu fière à la fois
Cette sensation que c’est le karma
Que j’ai été such a good girl sur ce coup-là
De te laisser à l’univers sans essayer de forcer quoi que ce soit
Que l’univers t’as donné à moi

J’entame une réécriture victorieuse
[Il me plaît que vous soyez fou de moi
Il me plaît d’être folle de vous]
avec, au cœur, la fierté insensée des vraies amoureuses.

entre six et sept heures du matin

Il est entre six et sept heures du matin
quand nos corps se retrouvent
après un mois d’absence.

J’ai fantasmé ce moment où je viens te chercher
J’ai pensé revêtir le costume rouge de la femme fatale
Mais
Tu déménages, il y aura tes bagages,
Mais
La fatigue du petit matin,
Mais
le froid de février,

MAIS
notre libido insensée qu’on espère reprendre là où on l’a laissée ?

Alors je prépare des cookies pour l’amour repos
et la robe rouge pour l’amour vertige
peut-être n’aurons-nous pas à choisir
entre six et sept heures du matin
je n’attendrai pas la fin de la nuit
je t’attendrai

2022, septembre

Les larmes roulent sur mes pommettes et je me dis que j’ai de la chance d’avoir tant d’amour pour tant de personnes qui vivent si loin de moi que j’en ai mal. J’essaie de me convaincre que cette tristesse est belle
plutôt que d’en vouloir à la matérialité, à la téléportation toujours pas inventée. Je n’arrive pas encore à accepter à quel point je suis limitée. Une partie de moi hurle à l’injustice, voire à l’affront que le monde ne soit pas ce que j’aimerais qu’il soit : un seul corps, un seul temps – l’extase du Tout.
Un seul corps, un seul temps : c’est tout ce que j’ai et à l’approche de mes trente ans, cela semble si peu. Mon vieillissement et ma mortalité commencent à agiter mes pensées. Je suis surprise et agacée d’être aussi touchée par ce cap symbolique. J’aimerais être au-delà de ça. Mais je pense à la peau de mon cou, je pense à toutes mes envies qui ne tiennent pas en une vie, et je me demande ce que ça changera à mon rapport au monde quand je cesserai d’être perçue comme séduisante. Alors ces temps-ci j’explore nombre d’autres corps, comme pour retenir le temps qui file dans les filets du désir.