je ne veux plus d’amitiés construites autour d’un café
la vie ça se raconte en faisant autre chose
j’aime partager mais je ne dois plus mes histoires
à personne

l’envie de me raconter m’est passée comme passe une saison
je me souviens comme le simple fait de parler de soi créait de l’intime
aujourd’hui il ne suffit plus que je dise et que quelqu’un écoute
et je ne veux plus qu’on me raconte
par défaut

Je suis rassasiée.
Je suis fatiguée.

aujourd’hui j’ai besoin que le silence
les regards
et la peau
suffisent

j’ai les pieds mouillés
comme j’ai appris à accepter que des pieds le soient
en remontant avec vous le cours de la rivière

je marche seule vers le sommet
dans le soleil levant
le cœur écartelé
de vos absences

vous
trop nombrables vous
avec qui partager
la rage et le sacré

j’avance
la brume en contrebas
un recueil de poésie dans la poche

je hurle
et il y a l’espace, un instant,
pour faire exister l’injustice

à contretemps j’écris
mes yeux ont tout vu
même les infimes toiles de rosée à la racine des herbes des champs
mes yeux ont tout vu
il y a tant de fleurs des champs
mais pas un seul maudit chardon

Il me plaît que vous soyez fou de moi

Moi j’avais renoncé il y a longtemps déjà,
reprenant mot à mot ceux de Tsvétaïéva :
Non, tu n’étais pas fou, et sûrement pas de moi.
Je croyais faire ce qu’il fallait pour qu’un beau jour,
feu retrouvé, à une autre tu fasses la cour
avec l’ardeur qu’il manquait à nos premiers jours.
En sainte de cette histoire écrite dans ma tête,
je libérais ton feu pour la beauté du geste,
un geste d’amour pur, sans demander mon reste.
D’une résignation aussi douce que muette
j’étais, dans mon attente, entièrement revêtue,
si sûre qu’un tel amour n’advenait qu’au début !
Pas une seule histoire ne m’avait prévenue
qu’il pourrait apparaître au milieu du chemin
(quoiqu’à l’échelle d’une vie, c’est plus début que fin)
et – faire dérailler le script.

J’ai pas encore tout à fait fini d’être incrédule
et un peu fière à la fois
Cette sensation que c’est le karma
Que j’ai été such a good girl sur ce coup-là
De te laisser à l’univers sans essayer de forcer quoi que ce soit
Que l’univers t’as donné à moi

J’entame une réécriture victorieuse
[Il me plaît que vous soyez fou de moi
Il me plaît d’être folle de vous]
avec, au cœur, la fierté insensée des vraies amoureuses.

entre six et sept heures du matin

Il est entre six et sept heures du matin
quand nos corps se retrouvent
après un mois d’absence.

J’ai fantasmé ce moment où je viens te chercher
J’ai pensé revêtir le costume rouge de la femme fatale
Mais
Tu déménages, il y aura tes bagages,
Mais
La fatigue du petit matin,
Mais
le froid de février,

MAIS
notre libido insensée qu’on espère reprendre là où on l’a laissée ?

Alors je prépare des cookies pour l’amour repos
et la robe rouge pour l’amour vertige
peut-être n’aurons-nous pas à choisir
entre six et sept heures du matin
je n’attendrai pas la fin de la nuit
je t’attendrai

Vivantes jusqu’à la fin

parfois le futur dévore le présent
images de dévastation qui nous étouffent comme si l’air était déjà devenu tout à fait irrespirable

en guise de contre-sort
j’en appelle aux devenirs-magicien·nes
aux imaginaires de punks solaires
pour que le futur devienne notre vaisseau pirate à bord duquel naviguer
jusqu’à ce qu’on parvienne à l’atteindre
pas besoin de carte du ciel
– c’est ingénu
il suffira d’aller vers ce qui nous transperce le cœur
la douleur de l’espoir et du désir
qu’est-ce qui te donne envie de vivre ? ou qu’est-ce qui pourrait ?
tout est possible
sauf de réanimer les mortes, de toutes espèces
tout est possible
il suffit de cultiver des visions grandioses ou minuscules
d’un autre monde
et de s’acharner à ouvrir des portes vers l’espace et le temps
pour qu’ailleurs devienne maintenant
des portes façonnées avec soin, amour, désir
et acharnement

ce qui compte c’est qu’on trouve des moyens de se sentir vivantes jusqu’à la fin
j’imagine une culture où on danse et où on chante dans la rue
quand on en a l’envie
ça peut paraître risible
et la pollution, et les moyens de production, n’y a-t-il pas, enfin, des choses plus sérieuses auxquelles rêver,
en premier ?
alors je demande :
comment une culture qui nous permettrait d’être pleinement vivantes
traiterait un monde vivant ?

j’ai peur

J’ai peur de la mort de l’amour
– de notre amour
peur que la distance vienne à bout des braises.

Je t’en veux de t’être si peu 
si peu et si mal
protégé de moi

et de lui

et des autres.

Je t’en veux de laisser le monde et moi te prendre,
t’abîmer.
Je t’en veux d’avoir si mal connu l’étendue de tes forces
et qu’il ne t’en reste plus.
Quand je t’observe je vois tout ce que tu ne peux plus risquer. 
Tout ce que tu ne peux plus.
J’ai du mal à supporter ta faiblesse, ton infirmité.
Tout me pousse à m’enfuir jusqu’au printemps, en priant pour que tu te redresses de toi-même
afin de ne pas avoir à faire face 
à
ma peur que tu n’aies plus envie de m’aimer.

ôde

Comment peux-tu avoir une telle présence,
ô toi qui ne sens parfois pas tes contours ?
J’embrasserai chaque parcelle de ta peau pour que tu saches que tu es là
ton visage mutin et profond de créature des bois
ton crâne et tes cheveux, et les longs et les ras
m’arrêtant en chemin sur tes paupières qui abritent
deux yeux dont je ne dirais rien car ils sont au-delà des mots.
En passant sur ta nuque je te respirerai
et ton odeur fauve m’inspirera quelque dévoration
que je contiendrai pour parcourir ton dos, paysage cosmique
où poussent parfois des graines dont tu me confies la délicieuse éclosion.

Si je croyais en Dieu

Si je croyais en Dieu
tu m’entendrais chaque jour faire la même prière :
que la connexion ne soit pas une chimère.
Je n’espère rien de mieux
rien de moins que ce vœu,
que ce fervent désir de ressentir encore
cette puissante émotion que plus que tout j’adore,
dans mon cœur dans mon âme et aussi dans mon corps.
Et si tu vois parfois des larmes dans mes yeux
c’est que mon esprit flanche, croit que c’était fiction,
qu’il était ridicule l’espoir de connexion
– et que ce qui n’était qu’une respiration
revêt pour moi le masque d’un terrible adieu.

2022, juillet : enterre-moi

j’ai besoin de me donner le droit
de ne plus exister
doucement disparaître
n’être plus là pour personne
pour, peut-être, l’être à nouveau pour moi
quand j’écris le droit de ne plus exister
je veux dire
le droit d’exister sans prouver
qu’il y a une raison
un sens, une direction
ou le moindre mérite
(exister comme un chat
sans culpabiliser)

je suis si fatiguée de me raconter
comme un dégoût de la répétition
ma lassitude sans espoir d’être guérie par l’ailleurs
je voudrais être happée par le gouffre
de l’oubli
le soulagement de la terre fraîche et du silence
caressant les escholtzias
– pour réussir à prendre des vacances,
je n’imagine rien de moins radical

bored

bored by my own thoughts
how can I think about something new?
I wish I could surprise myself
– and I sometimes do
but most of the time I’m too
familiar
stable
or worst
I lack the unknown
the thrill of discovery
but even when I explore
I look mostly inward
how to
get out?
become other
loose myself again?

truth is: I’m not as interested in the world as I used to be
is this just getting old? more traumatized? or both? Did I just lack the space that could allow me to be interested?
I don’t want to know that much – I want to live, I want to feel, and I guess this makes me more focused towards myself than a quest for knowledge would