C’est un dessin dont le centre est un trou noir.
Pas un corps céleste mystérieux,
un trou noir littéral
un vide saturé
de quelque chose qui ne fait pas sens
une absence devenue récemment
intensément présente.
Tout apparaît en creux
comme des lignes dans le papier lorsqu’on passe le crayon dessus.
Un oxymore enfoncé dans la chair
est plus dur à encaisser
que dans le texte
et confine presque à l’asphyxie
qui fait tourner la tête.
Un oxymore dans la chair ça s’oublie
parce qu’un peu de flou artistique,
quand on ne sait pas dessiner,
c’est plus joli.
Un oxymore dans la chair ça se traduit
parce qu’il y a d’autre façon de faire du symbolique
que la poésie
psychosomatique.
Oxymore, c’est un joli mot.
Je l’aimerai beaucoup, plus tard.
The one that wouldn’t die
J’étais au mauvais endroit au mauvais moment
– quelle malchance.
Tu as essayé de te débarrasser de moi
– une témouine gênante
Tu aurais préféré ne pas
– c’était malheureux
Pourtant, il le fallait
– pourquoi le fallait-il ?
Qui s’en souvient ?
– pas toi.
Il fallait oublier.
– oublier pourquoi c’était important que je ne sois plus là
Tu as cru que c’était fini
– une bonne fois pour toute
Mais j’ai ouvert les yeux
– et tu m’as vue.
Malgré tous tes efforts, je suis encore vivante.
Haïkus de printemps
Se rappeler la lumière
Retrouver son mouvement
C’est ça la foi
Éclore –
commencer à exister
sans se douter de rien
Caché dans l’ombre de mon courage
J’ai découvert un trésor
Bonjour, douceur
Ouverture timide
si je veux un Maître
c’est celui des fleurs
J’ai perdu la tristesse
de ce que j’avais perdu
Le vide est fécond
1,2,3 je suis une grenouille
4,5,6
– plouf !
Feuilles jeunes et tendres
Vous connaîtrez bientôt
Le dur soleil
Les yeux lourds
je ne dors pas
mais je rêve de la sieste
J’ai bu de ton eau
sans te remercier.
Pardon.
L’amour porte un visage
qu’enfin j’ai appris
À reconnaître
Il est si simple de vivre
Quand on oublie
D’y penser
je ne veux plus d’amitiés construites autour d’un café
la vie ça se raconte en faisant autre chose
j’aime partager mais je ne dois plus mes histoires
à personne
l’envie de me raconter m’est passée comme passe une saison
je me souviens comme le simple fait de parler de soi créait de l’intime
aujourd’hui il ne suffit plus que je dise et que quelqu’un écoute
et je ne veux plus qu’on me raconte
par défaut
Je suis rassasiée.
Je suis fatiguée.
aujourd’hui j’ai besoin que le silence
les regards
et la peau
suffisent
j’ai les pieds mouillés
comme j’ai appris à accepter que des pieds le soient
en remontant avec vous le cours de la rivière
je marche seule vers le sommet
dans le soleil levant
le cœur écartelé
de vos absences
vous
trop nombrables vous
avec qui partager
la rage et le sacré
j’avance
la brume en contrebas
un recueil de poésie dans la poche
je hurle
et il y a l’espace, un instant,
pour faire exister l’injustice
à contretemps j’écris
mes yeux ont tout vu
même les infimes toiles de rosée à la racine des herbes des champs
mes yeux ont tout vu
il y a tant de fleurs des champs
mais pas un seul maudit chardon
Il me plaît que vous soyez fou de moi
Moi j’avais renoncé il y a longtemps déjà,
reprenant mot à mot ceux de Tsvétaïéva :
Non, tu n’étais pas fou, et sûrement pas de moi.
Je croyais faire ce qu’il fallait pour qu’un beau jour,
feu retrouvé, à une autre tu fasses la cour
avec l’ardeur qu’il manquait à nos premiers jours.
En sainte de cette histoire écrite dans ma tête,
je libérais ton feu pour la beauté du geste,
un geste d’amour pur, sans demander mon reste.
D’une résignation aussi douce que muette
j’étais, dans mon attente, entièrement revêtue,
si sûre qu’un tel amour n’advenait qu’au début !
Pas une seule histoire ne m’avait prévenue
qu’il pourrait apparaître au milieu du chemin
(quoiqu’à l’échelle d’une vie, c’est plus début que fin)
et – faire dérailler le script.
J’ai pas encore tout à fait fini d’être incrédule
et un peu fière à la fois
Cette sensation que c’est le karma
Que j’ai été such a good girl sur ce coup-là
De te laisser à l’univers sans essayer de forcer quoi que ce soit
Que l’univers t’as donné à moi
J’entame une réécriture victorieuse
[Il me plaît que vous soyez fou de moi
Il me plaît d’être folle de vous]
avec, au cœur, la fierté insensée des vraies amoureuses.
entre six et sept heures du matin
Il est entre six et sept heures du matin
quand nos corps se retrouvent
après un mois d’absence.
J’ai fantasmé ce moment où je viens te chercher
J’ai pensé revêtir le costume rouge de la femme fatale
Mais
Tu déménages, il y aura tes bagages,
Mais
La fatigue du petit matin,
Mais
le froid de février,
MAIS
notre libido insensée qu’on espère reprendre là où on l’a laissée ?
Alors je prépare des cookies pour l’amour repos
et la robe rouge pour l’amour vertige
peut-être n’aurons-nous pas à choisir
entre six et sept heures du matin
je n’attendrai pas la fin de la nuit
je t’attendrai
2022, septembre
Les larmes roulent sur mes pommettes et je me dis que j’ai de la chance d’avoir tant d’amour pour tant de personnes qui vivent si loin de moi que j’en ai mal. J’essaie de me convaincre que cette tristesse est belle
plutôt que d’en vouloir à la matérialité, à la téléportation toujours pas inventée. Je n’arrive pas encore à accepter à quel point je suis limitée. Une partie de moi hurle à l’injustice, voire à l’affront que le monde ne soit pas ce que j’aimerais qu’il soit : un seul corps, un seul temps – l’extase du Tout.
Un seul corps, un seul temps : c’est tout ce que j’ai et à l’approche de mes trente ans, cela semble si peu. Mon vieillissement et ma mortalité commencent à agiter mes pensées. Je suis surprise et agacée d’être aussi touchée par ce cap symbolique. J’aimerais être au-delà de ça. Mais je pense à la peau de mon cou, je pense à toutes mes envies qui ne tiennent pas en une vie, et je me demande ce que ça changera à mon rapport au monde quand je cesserai d’être perçue comme séduisante. Alors ces temps-ci j’explore nombre d’autres corps, comme pour retenir le temps qui file dans les filets du désir.
Vivantes jusqu’à la fin
parfois le futur dévore le présent
images de dévastation qui nous étouffent comme si l’air était déjà devenu tout à fait irrespirable
en guise de contre-sort
j’en appelle aux devenirs-magicien·nes
aux imaginaires de punks solaires
pour que le futur devienne notre vaisseau pirate à bord duquel naviguer
jusqu’à ce qu’on parvienne à l’atteindre
pas besoin de carte du ciel
– c’est ingénu
il suffira d’aller vers ce qui nous transperce le cœur
la douleur de l’espoir et du désir
qu’est-ce qui te donne envie de vivre ? ou qu’est-ce qui pourrait ?
tout est possible
sauf de réanimer les mortes, de toutes espèces
tout est possible
il suffit de cultiver des visions grandioses ou minuscules
d’un autre monde
et de s’acharner à ouvrir des portes vers l’espace et le temps
pour qu’ailleurs devienne maintenant
des portes façonnées avec soin, amour, désir
et acharnement
ce qui compte c’est qu’on trouve des moyens de se sentir vivantes jusqu’à la fin
j’imagine une culture où on danse et où on chante dans la rue
quand on en a l’envie
ça peut paraître risible
et la pollution, et les moyens de production, n’y a-t-il pas, enfin, des choses plus sérieuses auxquelles rêver,
en premier ?
alors je demande :
comment une culture qui nous permettrait d’être pleinement vivantes
traiterait un monde vivant ?
j’ai peur
J’ai peur de la mort de l’amour
– de notre amour
peur que la distance vienne à bout des braises.
Je t’en veux de t’être si peu
si peu et si mal
protégé de moi
et de lui
et des autres.
Je t’en veux de laisser le monde et moi te prendre,
t’abîmer.
Je t’en veux d’avoir si mal connu l’étendue de tes forces
et qu’il ne t’en reste plus.
Quand je t’observe je vois tout ce que tu ne peux plus risquer.
Tout ce que tu ne peux plus.
J’ai du mal à supporter ta faiblesse, ton infirmité.
Tout me pousse à m’enfuir jusqu’au printemps, en priant pour que tu te redresses de toi-même
afin de ne pas avoir à faire face
à
ma peur que tu n’aies plus envie de m’aimer.