Vivantes jusqu’à la fin

parfois le futur dévore le présent
images de dévastation qui nous étouffent comme si l’air était déjà devenu tout à fait irrespirable

en guise de contre-sort
j’en appelle aux devenirs-magicien·nes
aux imaginaires de punks solaires
pour que le futur devienne notre vaisseau pirate à bord duquel naviguer
jusqu’à ce qu’on parvienne à l’atteindre
pas besoin de carte du ciel
– c’est ingénu
il suffira d’aller vers ce qui nous transperce le cœur
la douleur de l’espoir et du désir
qu’est-ce qui te donne envie de vivre ? ou qu’est-ce qui pourrait ?
tout est possible
sauf de réanimer les mortes, de toutes espèces
tout est possible
il suffit de cultiver des visions grandioses ou minuscules
d’un autre monde
et de s’acharner à ouvrir des portes vers l’espace et le temps
pour qu’ailleurs devienne maintenant
des portes façonnées avec soin, amour, désir
et acharnement

ce qui compte c’est qu’on trouve des moyens de se sentir vivantes jusqu’à la fin
j’imagine une culture où on danse et où on chante dans la rue
quand on en a l’envie
ça peut paraître risible
et la pollution, et les moyens de production, n’y a-t-il pas, enfin, des choses plus sérieuses auxquelles rêver,
en premier ?
alors je demande :
comment une culture qui nous permettrait d’être pleinement vivantes
traiterait un monde vivant ?

j’ai peur

J’ai peur de la mort de l’amour
– de notre amour
peur que la distance vienne à bout des braises.

Je t’en veux de t’être si peu 
si peu et si mal
protégé de moi

et de lui

et des autres.

Je t’en veux de laisser le monde et moi te prendre,
t’abîmer.
Je t’en veux d’avoir si mal connu l’étendue de tes forces
et qu’il ne t’en reste plus.
Quand je t’observe je vois tout ce que tu ne peux plus risquer. 
Tout ce que tu ne peux plus.
J’ai du mal à supporter ta faiblesse, ton infirmité.
Tout me pousse à m’enfuir jusqu’au printemps, en priant pour que tu te redresses de toi-même
afin de ne pas avoir à faire face 
à
ma peur que tu n’aies plus envie de m’aimer.

ôde

Comment peux-tu avoir une telle présence,
ô toi qui ne sens parfois pas tes contours ?
J’embrasserai chaque parcelle de ta peau pour que tu saches que tu es là
ton visage mutin et profond de créature des bois
ton crâne et tes cheveux, et les longs et les ras
m’arrêtant en chemin sur tes paupières qui abritent
deux yeux dont je ne dirais rien car ils sont au-delà des mots.
En passant sur ta nuque je te respirerai
et ton odeur fauve m’inspirera quelque dévoration
que je contiendrai pour parcourir ton dos, paysage cosmique
où poussent parfois des graines dont tu me confies la délicieuse éclosion.

Si je croyais en Dieu

Si je croyais en Dieu
tu m’entendrais chaque jour faire la même prière :
que la connexion ne soit pas une chimère.
Je n’espère rien de mieux
rien de moins que ce vœu,
que ce fervent désir de ressentir encore
cette puissante émotion que plus que tout j’adore,
dans mon cœur dans mon âme et aussi dans mon corps.
Et si tu vois parfois des larmes dans mes yeux
c’est que mon esprit flanche, croit que c’était fiction,
qu’il était ridicule l’espoir de connexion
– et que ce qui n’était qu’une respiration
revêt pour moi le masque d’un terrible adieu.

2022, juillet : enterre-moi

j’ai besoin de me donner le droit
de ne plus exister
doucement disparaître
n’être plus là pour personne
pour, peut-être, l’être à nouveau pour moi
quand j’écris le droit de ne plus exister
je veux dire
le droit d’exister sans prouver
qu’il y a une raison
un sens, une direction
ou le moindre mérite
(exister comme un chat
sans culpabiliser)

je suis si fatiguée de me raconter
comme un dégoût de la répétition
ma lassitude sans espoir d’être guérie par l’ailleurs
je voudrais être happée par le gouffre
de l’oubli
le soulagement de la terre fraîche et du silence
caressant les escholtzias
– pour réussir à prendre des vacances,
je n’imagine rien de moins radical

bored

bored by my own thoughts
how can I think about something new?
I wish I could surprise myself
– and I sometimes do
but most of the time I’m too
familiar
stable
or worst
I lack the unknown
the thrill of discovery
but even when I explore
I look mostly inward
how to
get out?
become other
loose myself again?

truth is: I’m not as interested in the world as I used to be
is this just getting old? more traumatized? or both? Did I just lack the space that could allow me to be interested?
I don’t want to know that much – I want to live, I want to feel, and I guess this makes me more focused towards myself than a quest for knowledge would

produit de luxe défectueux

produit de luxe défectueux
c’est mon identité de genre
c’est un ressenti interne
c’est le combo entre le complexe de supériorité et l’estime de soi pétée (culpabilité, haine de moi, honte, yada yada yada)
c’est pas mon orientation sexuelle mais on en est peut-être pas si loin
c’est au moins une identité sexuelle, ça, c’est sûr
c’est ma volonté d’être adorée, désirée, et la certitude de le mériter
mélangée à l’idée que peut-être personne ne va le remarquer
c’est mon désespoir profond de croire qu’on ne me veut que pour m’utiliser
et qu’en plus je ne suis même pas un produit fonctionnel
j’ai de la valeur
ou au moins – j’en ai eu
pourtant tu vas être déçu·e :
trompé·e sur la marchandise

27 mai 2021

Avec quatre années de recul,
je peux vous l’affirmer, les bulles,
c’est efficace pour flirter.
Bonheur = simplicité,
c’est plus compliqué comme calcul ;
heureusement on est entêté·e·s,
de véritables têtes de mules,
et le temps qu’on prend pour chercher
est loin d’être un jeu à somme nulle.
Ah, ces quatre années à s’aimer,
sûr qu’on a joué aux funambules !
Sur les fils où on déambule
nous ne nous laissons pas tomber,
sans cesse nous apprenons des bulles
l’art délicat de voltiger.

2020, septembre

J’aimerais qu’on sache faire exister les conflits sans créer pour autant des trous dans la toile. Je me sens lourde. Lourde de tristesse pour les trous, lourde des chemins perdus, lourde de l’amertume de savoir qu’ils ne sont pas perdus pour tout le monde, lourde de la responsabilité de tisser, et de la sensation que nous sommes trop peu à qui ça importe vraiment. Ça prend du temps de créer les espaces où je me sens vivante, le plus pleinement, et je suis fatiguée du rythme avec lequel il me faut les renouveler, et des patterns tordus qui constituent la toile (chemin de traverse : apprendre à être aussi vivante que possible partout). Je veux du souple, mais du plus solide. Je crois toujours que c’est possible. Le sentiment que ça ne peut exister sans une forme de renoncement à la pleine et pure affinité. Deuil difficile, je contemple les réseaux lumineux qui émergent dans l’obscurité de la terre, les larmes aux yeux. Je ne peux pas attendre des autres ce que je ne fais pas moi-même ; modéliser, c’est mon éthique. Accepter de m’engager dans des environnements imparfaits, trouver d’autres horizons relationnels que la joie et la jouissance d’être avec. Vivre ensemble, c’est beau quand oublie quelques instants que ça a été salement galvaudé. Vivre avec, parce que c’est « plus qu’une consolation […] une raison de vivre ».

Cet été j’ai confié ma vie à la mer. Maintenant, j’aspire à jouer le jeu de la vie jusqu’au bout. C’est terrifiant et sublime et incertain. C’est un saut de la foi, c’est m’en remettre, enfin, à plus grand que moi. Mais avant de peut-être exister d’une manière qui me dépasse, il faudra que quelques années passent.

Je pense avec émotion à l’adolescente que j’étais et qui ne voulait pas le jouer, ce jeu. Elle est morte et je porte son héritage, en forme de sensibilité persistante à la rage et au désespoir de la contrainte, au droit de ne pas vouloir, de dire non, de mourir. Et si, dans la pratique, j’ai parfois manqué d’humilité ces dernières années, je veux à nouveau accueillir le refus de la vie comme modalité de l’existence, et apprendre à en prendre soin sans plus chercher à convaincre de me rejoindre de ce côté-ci. Rendre hommage à la princesse, et à tou·te·.s celleux qui penchent, sans vraiment l’avoir choisi non plus, vers la destruction comme solution.

Garde rapprochée

Garde rapprochée de violeurs
J’ai 
enfin trouvé mes vraies valeurs
Au 
lieu de vivre dans un monde faux
Main
tenant j’incarne mes idéaux

Tu sais moi j’ai choisi mon camp
j’ai arrêté de faire semblant
Puisque je vendais déjà mon cul
Qu’est-ce qui m’empêchait d’vendre mon âme en plus ?
D’autant que c’est super bien payé
et je passerai peut-être à la télé

je sais pas ce qui m’a pris d’être féministe
ou d’essayer de mener une vie d’artiste
j’ai finalement quitté tous ces milieux tristes
et leurs thé-o-ries compliquées
moi dorénavant, j’ai un vrai métier :
je suis, je suis, garde rapprochée

Garde rapprochée de violeurs
J’ai 
enfin trouvé mes vraies valeurs
Au 
lieu de vivre dans un monde faux
Main
tenant j’incarne mes idéaux

C’est au-delà de “je cautionne” : 
je fais une recommandation
et je paierai de ma personne 
leurs libérations sous caution
c’est vraiment un métier de femme
ça en demande du dévouement
j’ai du apprendre à être ferme
quand au quotidien je leur mens
j’ai des egos à protéger 
de l’insupportable vérité
faire en sorte qu’ils soient aveuglés
c’est 
ma lourde responsabilité
je suis, je suis, garde rapprochée

Garde rapprochée de violeurs
J’ai 
enfin trouvé mes vraies valeurs
Au 
lieu de vivre dans un monde faux
Main
tenant j’incarne mes idéaux

J’ai proposé mes services à un ami qui
m’a dit que le violeur c’était pas vraiment lui
– il était dans le camp des violeurs gentils.
Du coup je me suis spécialisée
je bosse que pour ceux qui sont certifiés
100% dangereux pour la société

Je suis, je suis, garde rapprochée !